dimanche 19 avril 2009

La pénétration de la "raison marchande" dans le secteur social

Vendredi 17 avril a eu lieu la première soirée de ce qui est appelé à devenir le comité local - Marseille et sa région - de l'Appel des Appels. La librairie Païdos accueillait ce rendez-vous auquel ont participé quelque deux cents personnes... Nous rendrons compte plus en détail dans les jours qui viennent de la teneur de cette rencontre et des idées qui y ont été défendues, débattues.

Parmi les personnes qui sont intervenues ce soir-là, Bernard Organini, formateur (et chargé de cours de Sociologie) à l'Institut Régional du Travail Social.

Il est intervenu pour évoquer la question de la pénétration de l'idée "marchande" dans le secteur social. Voici un texte qui va un peu plus loin sur cette thématique et qui pourrait être l'un des axes de réflexion et de travail de l'Appel des Appels 13...


Nous vivons dans un monde dominé par le culte de la performance, fasciné par "l’élite" et le luxe, mystifié par le marché censé assurer, par une saine concurrence, la réussite des meilleurs et l’abondance à tous.

Cette illusion a fait des dégâts considérables en réduisant la vie humaine à son utilité marchande (à quoi çà sert, combien çà coûte, combien çà rapporte, sont les questions essentielles que la « pensée libérale » se pose sur le monde).

Plus de vision de l’avenir, celui-ci étant ramené à la gestion du présent, à « l’adaptation continue et fluide aux actions des concurrents » (Ernest Antoine Seillière).

Cette "raison marchande" pénètre maintenant notre secteur sous différentes formes.

De l’extérieur, venant des pouvoirs publics, des puissances financières et des médias, la vision de tout ce que nous faisons comme un coût (puisque çà ne prend pas la forme d’une marchandise vendue sur un marché) et non comme une valeur, une contribution à un mieux être collectif, par l’allègement des difficultés des plus fragiles.

Donc les sollicitations dont nous sommes l’objet sont principalement de coûter moins cher, de faire pareil mais avec moins, avec la suspicion permanente de gaspiller de l’argent qui serait plus utile ailleurs. Ceci d’autant que, loin de nous consacrer à ces « gagnants » qui sont sous les projecteurs et à qui tout est dû, nous nous consacrons aux faibles, aux perdants.

De l’extérieur encore, elle nous arrive avec une sollicitation permanente au spectaculaire et à l’urgence. Ce qui n’est pas médiatisé n’existe pas et ce qui n’est pas caricatural et chargé d’émotions ne mérite pas d’être médiatisé. Donc la moindre des choses serait qu’on se mette au garde à vous, toutes affaires cessantes, dès que quelque chose de spectaculaire se passe.

Bien sûr cela manifeste un mépris constant et croissant pour le travail que nous faisons au quotidien, dans l’ombre car l’accompagnement des personnes en difficulté demande au contraire patience et discrétion.

De l’extérieur toujours, l’aide aux personnes se découpe de plus en plus en prestations que l’on va dissocier les unes des autres et confier à des « prestataires » différents selon une logique d’appels d’offre qui seront accordées au moins disant (celui qui propose le moins cher) et non au mieux disant (celui qui propose la meilleure qualité). Ainsi les prestations de restauration sont confiées à des spécialistes de la nourriture insipide standardisée en même temps que les contrôles hygiénistes obsessionnels (à cause de quelques affaires ultra médiatisées et du souci des politiques et des gestionnaires de se « couvrir ») font fermer ou rendent financièrement impossibles les cuisines « familiales » de beaucoup d’établissements.

De l’intérieur, la logique néolibérale entre clandestinement dans les valises de la professionnalisation croissante de nos métiers qui s’inscrit dans une tendance générale des sociétés humaines à la division du travail.

Elle entre dans les valises du souci de qualité et d’évaluation de notre travail, que nous valorisons, nous, dans la mesure où cela accroit notre compréhension des problèmes de plus en plus complexes que nous avons à traiter, permet plus de respect des personnes, de nuances dans les solutions imaginées, d’ajustements permanents dans les mises en œuvre.

Parallèlement à cet enrichissement individuel et collectif, on voit se manifester une volonté de technicisation, de mise en place de procédures, de « produits d’insertion », de solutions « clefs en main », formes gadgétisées qui jettent de la poudre aux yeux mais pourrait faire de nous de futurs exécutants, magasiniers vendeurs de produits standardisés et labélisés à des « clients » avec comme compétence restante, de savoir leur en expliquer le mode d’emploi.

Elle entre dans les valises de la personnalisation du service rendu qui a fait de spectaculaires progrès depuis une vingtaine d’années et continue d’en faire, stimulée par les récentes lois (2002, 2005, 2007). Mais en même temps, on voit se propager une réduction des problèmes sociaux à leurs manifestations individuelles, chaque personne demandeuse d’aide étant mise en demeure d’élaborer un projet de vie, de manifester une volonté de s’en sortir, se voyant offrir des moyens tout aussi individualisés pour ce faire (des coachs partout, pour le soutien scolaire, pour l’insertion professionnelle) au détriment d’une prise en compte de la dimension collective de l’existence de chacun ( de plus en plus de solitude, d’abandons, de discrimination) et du cadre global de vie qui continue de se dégrader (logements introuvables, trop chers, quartiers ghettos , politique de la ville en déliquescence).

Pour le collectif 13 en colère B.ORGANINI

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